On peut se rétablir d’un problème de santé mentale comme on se rétablit d’un problème physique. Cette idée commence à faire son chemin, modifiant le regard porté sur les troubles psychiques.
Se rétablir, pouvoir faire face
Face à un problème physique, on envisage facilement la possibilité de s’en remettre, de s’en rétablir. Autrement dit, de retrouver une vie satisfaisante. Quand il s’agit d’un problème de santé mentale, cette perspective, le plus souvent, ne vient pas à l’esprit. On pense qu’on ne peut pas aller mieux si on vit avec un trouble bipolaire, des troubles alimentaires ou un autre trouble psychique.
Il existe pourtant une autre façon de considérer ces troubles, en se focalisant sur l’espoir de trouver un équilibre dans sa vie. Il ne s’agit pas de minimiser les difficultés. Simplement, la personne trouve peu à peu des moyens d’y faire face. On dit que la personne se rétablit. Les étapes par lesquelles elle passe sont appelées le rétablissement.
Un mouvement porté par les personnes vivant avec un trouble psychique
Le mouvement défendant l’idée de rétablissement a été largement porté, d’abord aux Etats-Unis et plus récemment en France, par des personnes vivant avec un trouble psychique.
Cette vision suscite de l’intérêt chez certains professionnels de la santé mentale, du scepticisme chez d’autres. Elle influence les pratiques dans un petit nombre d’établissements de soins et d’accompagnement.
Dans la société, l’idée que des personnes ayant un trouble psychique peuvent se rétablir est peu répandue. On pense trop souvent, par exemple, que ces personnes ne peuvent pas travailler, ou encore qu’elles doivent renoncer à fonder une famille. Ce sont des idées reçues qui ne correspondent pas à la réalité. Ces a priori empêchent de voir que ces personnes peuvent, au fil du temps, trouver en elles-mêmes et autour d’elles les ressources pour ne pas être débordées par les symptômes et pour mener leur vie comme elles le souhaitent.
Se rétablir, avec ses hauts et ses bas
Se rétablir n’est pas synonyme de guérir. Selon ses besoins, la personne rétablie d’un trouble psychique peut continuer à bénéficier de soins tels qu’une psychothérapie, à prendre un ou des médicaments. Elle peut s’appuyer sur des dispositifs d’accompagnement, par exemple habiter dans un appartement thérapeutique. Elle dira par exemple « maintenant ça se passe mieux, je suis stabilisée » ; ou encore, « je n’ai pas fait de rechute depuis longtemps ».
Le trouble est toujours présent, mais il n’empêche pas la personne de faire des projets.
En cours de rétablissement, la personne connaît des hauts et des bas. Elle traverse des périodes durant lesquelles ses projets avancent, mais aussi d’autres où ses projets se défont et d’autres, encore, où il ne se passe rien.
Se rétablir, c’est changer de perspective
Il n’existe pas une manière unique de définir le rétablissement. Il est souvent décrit comme “une attitude, une manière de vivre, un sentiment, une vision, ou une expérience plutôt qu’un retour à la normalité ou la santé”, pour reprendre les mots de Larry Davidson, professeur de psychiatrie à l’université de Yale aux Etats-Unis, dans son article publié en 2003.
Il s’agit, pour la personne qui doit composer avec la survenue d’un trouble psychique, de changer de perspective. Elle va chercher un point d’équilibre dans son quotidien, qui tienne compte de ses vulnérabilités, tout en s’appuyant sur ses forces, ses ressources et ses capacités.
Agathe Martin est membre de l’association Comme des fous, fondée par des personnes concernées par un trouble psychique. Dans son article publié en 2017 dans la revue Rhizome, elle définit le rétablissement comme un rapport différent à la maladie :
« A mon sens, le rétablissement apparaît quand la personne se connaît suffisamment pour savoir si elle va bien, un peu moins bien ou si elle va mal. C’est un rapport à soi et à la maladie, différent. C’est un mode de vie, un rapport à soi dans lequel on essaie constamment de déterminer ses limites […], dans lequel les possibles ont été redéfinis en tenant compte de la maladie mais en l’ayant intégrée en soi comme paramètre de son existence ».
Se rétablir c’est peut-être simplement donner sa juste dimension à la maladie dans sa vie et dans son identité.
Agathe Martin
Ce qui aide à se rétablir
De nombreuses personnes vivant avec un trouble psychique se considèrent « rétablies » et racontent leur expérience dans des livres, des articles ou des vidéos. Chaque parcours est unique, mais il existe des points communs entre leurs témoignages. On peut en déduire que certains éléments aident à se rétablir, quel que soit le contexte.
L’espoir en un avenir ouvert
La survenue d’un trouble psychique rend le futur compliqué à envisager pour la personne concernée. Certains de ses projets sont remis en question. L’espoir en un avenir ouvert, dans lequel la personne conservera la possibilité de faire des choix, est essentiel pour permettre une évolution positive de son état psychique.
Cet espoir produit un effet plus fort s’il est porté à la fois par les professionnels, la famille et la personne elle-même.
L’acceptation de la maladie
Accepter la maladie est souvent considéré comme la première étape dans la reconstruction de l’identité de la personne, après le diagnostic. Cela consiste, dans un premier temps, à considérer le trouble psychique comme une expérience parmi d’autres. Et ensuite à prendre conscience que, si on ne peut pas le faire disparaître, on peut avoir prise sur lui et sur les symptômes.
« Je suis une personne, pas une maladie »
Celle ou celui qui reçoit un diagnostic psychiatrique ne se résume pas à ses symptômes, ni à sa maladie. Avant d’être une patiente ou un patient, elle ou il est une personne.
Au bout d’un moment, son problème de santé mentale peut passer au second plan. Celui-ci est alors envisagé comme un élément parmi d’autres, dans ce qui compose son identité : sa vie sociale, affective, professionnelle, son environnement, ses croyances, ses loisirs. La personne est un père de famille, une employée, un ami digne de confiance, une adepte de la randonnée en montagne, un musicien ou une croyante et elle est, en plus, concernée par un trouble psychique.
Le pouvoir d’agir par soi-même
Chaque personne doit pouvoir agir par elle-même, et pour elle-même. Ce principe d’empowerment est l’une des clés du rétablissement.
La personne qui se rétablit augmente petit à petit le niveau de choix, de décision, d’influence et de contrôle qu’elle exerce sur les événements de sa vie et sur son environnement. C’est un pouvoir qu’elle se donne, mais l’entourage ou les professionnels peuvent néanmoins l’y encourager.
Le contrôle sur les symptômes
En gagnant du pouvoir d’agir, la personne augmente aussi son contrôle sur les symptômes liés au trouble. Ainsi, de nombreuses personnes en cours de rétablissement racontent qu’elles développent des stratégies personnelles pour être moins perturbées par l’anxiété, les rituels des TOC ou les hallucinations auditives.
Certaines personnes qui entendent des voix, par exemple, ont pris l’habitude de fixer un moment précis dans la journée au cours duquel elles se rendent disponibles pour leur répondre. Cela leur évite de s’interrompre dans leurs activités le reste du temps.
La chercheuse américaine Patricia Deegan, docteur en psychologie et concernée par un trouble psychique, a témoigné dès 2001 sur les techniques qu’elle a trouvées pour atténuer ses symptômes.
J’ai appris à éviter certains types de situations et de sujets qui m’entraînaient dans des idées délirantes.
Patricia Deegan
L’engagement dans des actions qui ont du sens
Gagner du pouvoir d’agir permet aussi à la personne de se lancer dans des projets qui ont du sens pour elle. Pour l’un, cela consistera à rejoindre une association comme bénévole, pour un autre, à participer au balisage de chemins de randonnée sur sa commune.
Or s’engager dans une action valorisée par d’autres permet de retrouver un statut social. Cela apporte aussi un sentiment d’appartenance à une communauté.
L’entraide
Les personnes qui témoignent de leur rétablissement évoquent fréquemment une ou plusieurs rencontres « significatives » dans leur parcours. Il peut s’agir d’un pair qui vit lui aussi avec un trouble psychique, d’une rencontre amicale, d’un membre de la famille qui se révèle être un solide soutien, d’un professionnel de la santé mentale. “C’est-à-dire qu’au moment où ils allaient s’abandonner à la maladie, quelqu’un a cru en eux, a espéré ‘pour eux’”, explique Elie Peneau, dans sa thèse de médecine soutenue en 2014.
Nous avons besoin de quelqu’un qui croit en nous lorsque nous ne pouvons pas le faire nous-mêmes.
Témoignage recueilli par le psychiatre américain Larry Davidson
De manière plus générale, échanger avec des personnes faisant elles-mêmes l’expérience du rétablissement est une aide précieuse. Elles peuvent transmettre l’espoir d’une vie satisfaisante après la maladie, ou avec la maladie.
Des portes auxquelles frapper
Pour se rétablir, la personne peut s’appuyer sur différents lieux et structures ouverts à celles et ceux qui vivent avec un trouble psychique. Cependant, il n’est pas facile de trouver à quelle porte frapper. Parfois, la personne découvre un peu par hasard l’association d’usagers ou l’équipe dédiée au logement qui lui apportera une aide décisive.